(… et c'est bien dommage, par moments)
J'ai lu dans plusieurs livres que les influences multiples de la cuisine marocaine incluaient la cuisine turque.
Concrètement, cela m'a toujours surprise. On ne trouve pas au Maroc les grands classiques de cette cuisine impériale, fusion elle-même de nombreuses influences (dont la cuisine persane).
La cuisine marocaine est très spécifique. Elle partage avec le reste du Maghreb des plats comme le couscous, mais les saveurs marocaines, les mélanges d'épices et leur subtilité, par exemple, lui sont propres.
Peu d'influences étrangères dans la cuisine marocaine
C'est même le contraire : culinairement, il y a une sorte de frontière à l'est du Maroc, qui correspond aux frontières historiques, et qui arrête la diffusion de nombreux plats très répandus dans le reste du Maghreb et de l'Afrique du Nord (comme les falafels, par exemple). Même le "tajine" est différent en Tunisie.
Cela avait même été une difficulté lorsque mon mari et moi avions fait le fixage de l'émission "Fourchette et sac à dos" sur le Maroc. Tournée dans le sud du Maroc, au moment de la fête des Roses à Kelaa M'Gouna, il avait été impossible de trouver dans la cuisine marocaine des plats à base de rose.
Pas de loukoums, pas de mélanges d'épices comme l'advieh (que j'ai fini par réaliser moi-même), l'eau de rose, chez nous, est un parfum, rien de plus, qu'on peut utiliser dans les desserts, alors que la rose est omniprésente dans cette cuisine "irano-perso-ottomane".
(Pour la petite histoire, on avait fini, à la demande de la production, par "inventer" une recette de tajine de boeuf à l'eau de rose, que j'ai vue depuis reprise sur quelques sites comme un classique de la cuisine marocaine. Il n'en est rien, et je vous assure que ce plat n'est pas bon.… pardon Julie !)
Sauf dans les régions frontalières ou d'immigration pré-coloniale
J'ai donc sauté de joie en lisant cette interview d'Anny Gaul, une historienne américaine, qui limite l'influence de la cuisine turque à la seule ville de Tétouan.
L'histoire de la cuisine est fascinante. C'est l'histoire de l'économie, de la religion, avec ses tabous culinaires, du commerce et des échanges, du climat…
L'histoire de la cuisine marocaine est un peu difficile. En Europe, on a des sources pour la cuisine médiévale – et même antique. Au Maroc, des sources aussi anciennes n'existent quasiment pas. On peut par contre, en voyant les ingrédients des plats traditionnels marocains, se rendre compte qu'un certain nombre d'entre eux, comme la tomate, sont des produits d'importation, qui n'ont pas pu arriver dans le pays avant le XVI° ou le XVII° siècle, ni se développer avant le XX° siècle.
C'est d'ailleurs le sujet d'un des articles du blog d'Anny Gaul : comment étaient les pâtes du XVII° siècle ?
Pour en revenir aux influences turques sur la cuisine marocaine, il faut, bien sûr, faire abstraction du succès des shawarmas, nom local donné au kebab – qui est, en réalité, d'origine allemande, une invention par un immigré turc (quand même) qui a conquis le monde. Ce qui en est le plus proche, dans la cuisine turque, c'est l'iskander döner, qui se sert sur une assiette.
Tétouan, à l'Est du Maroc, n'a jamais appartenu à l'Empire Ottoman. Par contre, elle a accueilli de nombreux réfugiés algériens, au XIX° siècle, qui fuyaient la colonisation française. Ce sont eux qui ont apportés des recettes ottomanes, des gâteaux comme la baklava, les k’taifs, les kaâb m’fenned, la m’hancha et la zammita… (ce que confirme Fatima R’houni, spécialiste de la cuisine de Tétouan)
Principales différences entre les cuisines turque et marocaine
Vivant en Allemagne pendant quelques années, j'ai consommé de la véritable cuisine turque, dans des restaurant locaux tenus par des turcs dont la clientèle était majoritairement turque, et j'ai acheté quelques livres de cuisine.
Le riz, les raviolis, les produits laitiers (le fameux taztziki) sont absents de la cuisine marocaine traditionnelle. Même la version turque de la salade d'aubergines se déguste avec du yoghourt ! La Turquie a aussi de nombreux fromages, et je regrette toujours le halloumi que je trouvais à un moment chez Bim !
Le taboulé, dont les turcs ont créé une variante bien à eux, n'existe absolument pas au Maroc.
Dans les épices et condiments, la Turquie utilise le sumac, la salep, les graines de pavot, le sésame sous forme de tahina. Les huiles de sésame et de fruits à coque sont aussi beaucoup utilisées, alors qu'elles restent des produits rares et de luxe au Maroc.
Les épinards font partie des légumes de base. Au Maroc, on utilise plutôt la bakkoula (mauve) durant une saison limitée…
Enfin les pains turcs sont plus blancs, plus levés que les pains marocains traditionnels.
Deux sphères culinaires très différentes
La Turquie est donc dans ce monde de la cuisine du "Levant" (Liban, Syrie, Iran, Afghanistan) avec lequel elle partage des ingrédients et des modes de préparation. Le sultan turc a une résidence principale, à Istanbul (Topkapi puis Dolmabahçe), une capitale unique. Entre la Méditerranée et la Mer Noire, la Turquie est littéralement au milieu des eaux. Elle a un climat méditerranéen avec quelques zones de montagnes plus froides.
Le Maroc est au "Couchant". La plupart des ingrédients de la cuisine turque peuvent se trouver ici, beaucoup sont plus rares, les plats, les préparations sont différents. Pendant des siècles, le sultan marocain se déplace de palais en palais, les villes impériales changent avec les dynasties. La cuisine marocaine est très influencée par la cuisine du désert, par ce mode de vie presque nomade.
Bref, c'est pas pareil…
On peut maintenant trouver du halloumi au Maroc !
Je ne l'ai pas testé, mais la ferme du Bouskoura fait du halloumi, qu'on peut commander en ligne via Eden Souk
4 commentaires
la pluparts des recettes que vous dîtes ottoman sont algérienne ! kaab mfened c'est algerien ,pas ottoman !
dolma que font les algériens n'est pas comme celle des turques ,c'est algerien !
même notre baklawa est différente et se fait avec une pâte a base de semoule ..la cuisine algérienne et tunisienne n'ont rien avoir avec la turque ,on connaît ni falafel ni autre.
le Maroc a bien subi une influence étrangère qui est algérienne ! sa seule voisine avec la Mauritanie ! beaucoup de livre atteste
la harcha est algérienne ! et connu comme Oujdi mais s'est répondu sur le Maroc
le mekrout aussi ,enfin bref
Bonjour,
vous répétez ce que je dis dans l'article, à savoir que ce sont les réfugiés algériens à Tétouan qui ont apporté certaines spécialités culinaires, venues de l'Algérie ottomane. Cette cuisine de Tétouan n'est pas la cuisine marocaine.
En particulier, les kaab mfened algériennes s'appellent tcharek, un nom qui vient du turc çeyrek ay et qui veut dire "croissant de lune". La/les recettes algériennes sont délicieuses, et assez différentes de la simple corne de gazelle marocaine.
Que les algériens aient adaptés localement des recettes turques, bien sûr. Et la cuisine turque ne se limite pas aux falafels.…
Bref, les plats que vous cités sont "algériens sous influence ottomane". Et j'ai supprimé une référence qui n'a rien à voir avec le sujet dans votre commentaire.
Personnellement, je connais les deux pays. Je trouve navrant que Marocains et Algériens se fassent la guerre pour revendiquer la "propriété" d'un patrimoine culturel largement commun. Comme vous dites, enfin bref
Je découvre cette marmite !
Superbe rubrique, merci !
Ehé, merci 🙂 ça fait plaisir de te revoir enfin !