Vous avez tous vu dans les rayons vinaigres et condiments des bonnes épiceries et peut-être même acheté du vinaigre balsamique de Modène ? Le nom fleure bon, vinaigre balsamique comme baume, de ces baumes d’autrefois qui rassemblait des dizaines de plantes triturées, mises en pâte et appliquées par une main secourable.
Le vinaigre balsamique serait-il un baume pour l’estomac ? Mais l’appellation de vinaigre semble contradictoire, si cet ingrédient si nécessaire à la cuisine vous rappelle instantanément acidité, larmes qui vous montent aux yeux, sauce d’une salade ratée parce que trop acide.
Il y a vinaigre et vinaigre
En fait, il y a deux recettes principales de fabrication du vinaigre, l’une basée sur l’acidification du vin par des bactéries anaérobies. Cette recette a fait le triomphe de notre Pasteur national, puisque c’est en étudiant le phénomène des levures qu’il a fait sa révolution.
L’autre, la connaissez-vous, c’est la propriété d’une petite province italienne, dans le nord, la province de Modène ?
La production y est attestée depuis le 15e siècle, et certaines fabriques actuelles existaient déjà. Les aristocrates produisaient un vinaigre de verjus. Le raisin mûr est pressé à température normale et subit une préfermentation. Puis on le cuit à feu direct, on le fait réduire au minimum à 60 %. Et là les recettes divergent.
Les premières recettes de ce vinaigre de verjus existent depuis au moins le cinquième siècle avant J.-C. Il apparaît déjà dans le très fameux Deipnosophiste, le banquet des savants. On le découvrait déjà dans les banquets d’Homère, ce qui voudrait dire que sa connaissance remontait à plusieurs siècles auparavant. La recette de base est simple. À partir de la cuisson, on additionne d’épices. Ainsi à l’acidité naturelle du fruit s’ajoutaient des saveurs fort différentes.
Et à Modène ?
La recette de base du vinaigre balsamique de Modène ne diffère en rien de la précédente. Sinon que la rencontre des cultures y a ajouté l’invention gauloise du tonneau. Au lieu d’ajouter des épices, on laisse année après année le moût de raisin cuit se bonifier dans des barriques de bois différentes à chaque fois, c’est là tout le génie de ce vinaigre.
Une base acide provenant du raisin vert, qui macère et perd son acidité pendant des années, des dizaines d’années, dans des tonneaux de bois que l'on change annuellement. Il va réduire doucement jusqu’à la consistance d’un quasi-sirop attirant au passage tous les parfums des bois où il a séjourné.
Genévrier, olivier, chêne rouvre, mûrier, cerisier, acacia, châtaignier, frêne, etc.
Chaque producteur décide, et c’est son secret personnel, de l’ordre de ce transvasement annuel pour la production de précieux liquide. Ces barriques, à chaque fois moitié plus petites, reposent dans des « solai ». Comme le nom l’indique, elles sont exposées au plein soleil et à la grande froidure de l’hiver qui en fait évaporer la moitié chaque année. C’est la part des anges beaucoup plus grande que dans les chais d’eau-de-vie. Il faut compter environ 150 kg de raisin pour produire 1⁄10 de litre du précieux élixir.
Le vin se garde et les grands vins peuvent se garder quelques dizaines d’années. Le vinaigre balsamique de Modène lui peut traverser les siècles en s’améliorant sans arrêt. C’est l’un des rares produits au monde dont la durée de vieillissement est inconnu. La seule limite est celle de votre portefeuille. Le flacon de ce divin parfum du goût, désigné à l’instar des autres, peut valoir jusqu’à plusieurs milliers d’euros lorsqu’il a 150 ans et plus. Compter quelques dizaines d’euros pour du 25 ans ou du 50 ans.
On a ajouté le terme balsamique au XVIIIe siècle lorsqu’on a découvert les vertus thérapeutiques de ce liquide. Aujourd’hui si la curiosité vous prend de lire les notices de ces précieux flacons, vous découvrirez que c’est une panacée, de la guérison d’une gueule de bois en passant par tous les maux du genre humain.
En vérité ce n’est pas bien le considérer, car c’est de l’extase de votre palais qu’il faut parler. Essayez un trait de vieux vinaigre balsamique de Modène sur quelques cubes de fruits, accompagnez là de quelques violons comme ceux du concours Paganini, et vous atteindrez un des sommets de l’expérience gustative. Brisez quelques miettes de parmesan, ajoutez‑y quelques gouttes du précieux liquide et le caviar vous paraitra bien fade.
L'avenir de cet élixir ?
Ce produit d’exception est malheureusement très menacé. Que ce soit par le réchauffement climatique, menace sur la culture des vignes traditionnelles, ou par les imitations industrielles bon marché qui bénéficié toutefois d’une indication géographique. Ceux et celles qui n’ont jamais goûté une fois dans leur vie le 0,01 % de la production totale du vinaigre fabriquée en Italie ne peuvent connaître cette expérience merveilleuse et d’une grande simplicité.
La longueur en bouche, la coda, est égale à celle des années du produit. Plus il est vieux, plus la réjouissance de votre palais sera grande. À tel point que les connaisseurs attendent un certain temps avant de goûter le plat suivant ou de passer au café.
Vous préférerez sans doute en rester là, subjugué par ces dizaines de parfums qui vous assaillent et vous retiennent.