Le travail du safran
Octobre 2005, 6 heures du matin. Nous sommes à Taliouine, au du cœur du pays berbère, en pleines montagnes du Sirwa, dans l’anti-atlas.
Pour la première fois, je participe à la récolte du safran.
Des silhouettes pâles dans le tout petit jour blafard, emmitouflées dans des djellabas de laine, des foulards entortillés autour de la tête pour les protéger du froid mordant, luttent contre le sommeil, tout en s’entassant dans des camionnettes qui vont les emmener dans les montagnes, à quelques dizaines de kilomètres de là, récolter le safran.
Les petites fleurs bleues ont éclos dans la nuit, et elles doivent impérativement être ramassées avant que le soleil soit assez haut pour les abîmer et détruire les vitamines de l’épice. Toute la famille est mobilisée, car on ne dispose que de deux à trois heures pour cueillir toutes les fleurs dans les quelques hectares accrochés à flanc de montagne.
Il faudra ensuite, durant toute la journée, dans la pénombre d’une maison, séparer les précieux stigmates de la fleur, et les faire sécher pendant plusieurs semaines, pour enfin obtenir du safran. La nuit prochaine, d’autres fleurs pousseront, et la cueillette recommencera demain, à l’aube.
Tout ceci se fait uniquement à la main. D’abord marcher courbé vers les sol pour distinguer les petites fleurs, et les enlever d’un geste précis de trois doigts, sans abîmer les stigmates. Puis pendant de longues heures, répéter le geste mécanique, ouvrir la fleur, pincer les stigmates, jeter les pétales, reprendre une fleur, ouvrir, pincer…. Il faut 140 fleurs, donc 420 stigmates pour obtenir un gramme de safran sec.
Ainsi se prépare le safran, l’épice la plus chère au monde, de l’or en poudre en quelque sorte. Des prix au détail qui vont de 16 à 30 euros le gramme en Europe, dépendant des qualités. Il donne un goût incomparable aux plats qu’il parfume, une couleur d’un jaune profondaux saris des moines indiens et aux plafonds de cèdres des kasbahs du Sud marocain, où il est aussi reconnu pour ses vertus thérapeutiques.
Taliouine et le Siroua : le pays du safran
Taliouine est situé dans les montagnes du Sirwa, la zone traditionnelle de culture du safran. Une coopérative, Souktana, a été créée dans les années 1980, et se charge du contrôle de la qualité, et de la commercialisation des 2 à 3 tonnes produites annuellement.
Vous pouvez en savoir plus sur la coopérative en allant voir sa page, ici. C’est un endroit où vous pouvez acheter du safran en toute tranquillité. Ailleurs, il faut se méfier, car les contrefaçons sont nombreuses.
La région de Taliouineest très belle, et vous pouvez facilement y passer plusieurs jours, et y faire de splendides randonnées en montagnes. Les villages du Siroua, comme Ighil n'Oro, Ifrinadnine ou Afszimmer cachent de jolies suprises, et notamment de très beaux agadirs fortifiés.Le safran du Maroc : un trésor national
Le safran fait partie des 39 produits mis en avant dans le plan Maroc Vert. Le safran de Taliouine est désormais protégé par une AOP et toute la filière a bénéficié de plus de 140 millions de dirhams d'investissement.
Le ministère de l'Agriculture a soutenu la filière safran, pour conjuguer une augmentation des surfaces de culture et une amélioration de la qualité. Ainsi les surfaces ont triplé et la production totale a été multipliée par 4,4 entre 2008 et 2019. Elle dépasse maintenant les 6,5 tonnes, faisant du Maroc le 4° producteur mondial du safran après les producteurs traditionnels que sont l'Iran (430 tonnes) et l'Inde (22 tonnes), juste derrière la Grèce (7,2 tonnes) et devant l'Afghanistan (6 tonnes).
Bien acheter du safran
Du fait de son prix élevé, le safran est sans doute l’un des produits alimentaires les plus falsifiés qu’il soit, après l’alcool.
Les méthodes sont diverses et variées, de l’utilisation de stigmates de fleurs semblables en apparence, mais sans les mêmes qualités, comme le curcumaou la calendula, à l’alourdissement de l’épice par adjonction d’une huile (qui lui donnera à un goût légèrement sucré).
Et surtout, le mélange de différentes sortes de composants à l’épice qui est vendue en poudre.
On a même trouvé de la poussière de brique vendue comme du safran !
On vous proposera du safran dans les souks, et même dans la rue. Certains des membres de la coopérative gardent pour eux une partie de leur récolte, pour la vendre directement. N’achetez jamais du safran en poudre, toujours du safran entier.
Les stigmates doivent être fins, et longs, de couleur rouge foncée. L’odeur doit être forte, et les stigmates doivent tâcher les doigts. Le conditionnement doit être hermétique à la lumière. Et surtout, le prix doit être raisonnable. Un prix au détail inférieur à 20 dirhams le gramme au Maroc, 4 à 5 euro le gramme en Europe doit vous alerter. Il ne peut s’agir que d’une imitation !