Je regarde en ce moment une série d'émissions passionnantes de la BBC, de la reconstitution historique comme savent la faire les Anglais, sur la vie à la ferme à différentes époques. Une des choses qui me fascine le plus est de voir à quelle point notre civilisation urbaine nous a séparé du processus de production de notre propre nourriture.
Je l'avais déjà perçu au Maroc, surtout quand je descendais au "bled" chez mes beaux-parents, mais même ici, beaucoup de processus ont été industrialisés, et les cultures vivrières se raréfient.
"La vie à la ferme" est une série d'émissions qui montrent un an de vie chez des fermiers anglais de différentes époques :
- En 1500, la ferme Tudor présente la vie de métayers d'un grand monastère
- 1620, "La Verte Vallée" à l'époque des Stuarts
- Vers 1880, la ferme à la fin de l'époque victorienne montre les profondes modifications de l'ère industrielle sur la vie agricole
- Enfin, au tout début du XX° siècle, avec la ferme édouardienne, l'industrialisation arrive à la ferme elle-même.
Un des grands plaisirs de Ruth Goodman, l'historienne qui participe à l'émission, est de cuisiner. Elle se base donc sur des livres de recettes et d'économie ménagère de l'époque pour recréer les plats que l'on mangeait quand on était un fermier un peu aisé (pas de farine d'écorce d'arbre en temps de disette, par exemple). Elle prépare aussi de nombreuses conserves. Et elle fait ou elle fait faire ses ustensiles, ainsi que des remèdes.

Comme c'est une fermière, elle s'occupe aussi de l'élevage de certains animaux, de culture, elle fait son potager, participe aux récoltes…
L'utilisation des ressources, sans gâchis
Cela je l'ai vu aussi chez mes beaux-parents : on ne gâche rien ! Les cultures sont pensées pour nourrir les hommes et les animaux, chaque partie de la plante peut être utilisée.
On achète peu de produits manufacturés. On demande de l'aide à un artisan pour vous confectionner, à partir de ressources locales (bois, roseaux…) des biens durables, comme un panier qui durera bien cinquante ans et que l'on pourra réparer ensuite, ou utiliser pour se chauffer en le mettant au feu.
C'est justement sous Victoria que cela commence à changer. Par exemple, les paysans ne filent plus la laine pour fabriquer leurs propres tissus, mais achètent des étoffes toutes faites, manufacturées dans les usines textiles qui traitent les cotons importés des colonies.
Les clous fabriqués par le forgeron du village sont remplacés par des clous industriels. Dans le même temps, des machines commencent à économiser le travail, aux champs mais aussi à la maison (une essoreuse facilite la vie des femmes quand elles font la lessive).
La cuisine change avec l'environnement
Dans "La Ferme Victorienne", on apprend que l'utilisation du charbon minéral a totalement changé la cuisine.
Autant la combustion du bois pouvait donner une bonne odeur aux aliments, autant celle du charbon était désagréable. Il a donc fallu séparer le combustible de l'aliment : c'est l'invention de la cuisinière "moderne", avec une un emplacement où le charbon brûlait, avec un tuyau pour évacuer la fumée, un four et surtout une surface plate où poser… poêles et casseroles.

C'est la fin de la cuisson dans la cheminée, avec la marmite suspendue au dessus du feu. C'est l'arrivée des cocottes et la généralisation des ragoûts cuits longuement. C'est aussi la possibilité d'avoir sa cuisinière dans un espace plus petit que la cheminée, de mieux gérer la température de cuisson. Bref le début d'une évolution vers la cuisine moderne.
On avait bien sûr déjà des systèmes avec des récipients où on mettait du charbon de bois pour cuire une casserole posée par dessus, qu'on appelait "potager", mais ils étaient réservés aux très grandes cuisines.
Un kilo de pain et quatre litres de bière par jour !
Comme dans beaucoup de pays, la bière était une boisson beaucoup plus utilisée que l'eau. Car à l'époque, l'eau n'était pas très saine. Pleins de "petites bêtes" et microbes pouvaient traîner dans les mares, les puits… la bière, au moins, avec son (léger) degré d'alcool, n'avait pas ces inconvénients. Et elle était nourrissante aussi. Et rendait sans doute un peu euphorique !
Comme le pain, qui était la toute première nourriture. De grosses tranches de pain, trop épaisses pour qu'on puisse parler de tartines, faisaient office d'assiettes sur lesquelles on déposait le ragout ou les légumes longuement cuits dans la marmite.
Les pâtés, tourtes et pies
Les "pies" et "pasty" sont emblématiques de la cuisine anglaise.
Ces recettes avaient un objectif bien précis : elles permettaient de transporter facilement la nourriture, pour les personnes qui travaillaient à l'extérieur. Pas besoin de vaisselle, la croûte suffisait à protéger la nourriture, simplement emballée dans un torchon.

En particulier, le "Cornish Pasty" (qui est aujourd'hui une appellation protégée) avait un très large rebord pour que les mineurs puissent le tenir facilement et manger le reste du pâté sans le salir avec la poudre de charbon qu'ils avaient sur les mains.